EHPAD et situation de crise COVID19 : LA PESTE OU LE CHOLERA ?
Il y a quelques semaines, une collègue soignante venait me rapporter une anecdote comme on les aime en EHPAD. Celle qui nous tire un sourire alors que le quotidien nous fait sans cesse douter sur les choix et les directions que nous prenons pour préserver la santé des personnes âgées dépendantes.
Après un atelier individuel thérapeutique, une résidente est invitée à s’installer près d’une de ses voisines de pallier. Elle est laissée par la soignante avec le confort nécessaire et avec la consigne de garder ses distances pour respecter les gestes barrières. Elle remercie ma collègue soignante qui, quelques mètres plus loin, l’entend dire :
« Je fais ce que je veux, c’est pas ces p’tits trous du cul qui vont me dire ce que je dois faire ».
***
Dans la rubrique éthique, j’aimerais que nous discutions de ce sujet qui me tient à cœur depuis plusieurs années tant il est générateur de conflits interindividuels en institution médico-sociale. Il est un thème pour lequel j’ai été amenée à organiser avec mes collègues, une table-ronde réunissant près d’une centaine de personnes, il y a 2 ans maintenant.
« La prise de risque en EHPAD : entre sécurité et liberté. »
Les vieux résidants en EHPAD ont été les premières victimes de cette pandémie mondiale du COVID19. Particulièrement fragiles face à ce virus, ils ont en plus été confinés ET isolés du reste du monde. Très rapidement les proches de nos anciens en situation de dépendance ont été interdits de toutes visites, et parfois post-mortem…
Depuis des semaines, les établissements d’hébergement jouent à un jeu d’équilibriste compliqué où encore une fois, sécurité et liberté ne vont pas de pair. Et même si les règles commencent timidement à s’assouplir, elles ne constituent qu’une moindre amélioration face à cette situation exceptionnelle.
Ici, en situation de crise, la bien-pensance se retrouve à nouveau mise à mal dans la mesure où les institutions sont contraintes à se diriger vers les “moins pires” solutions ; celle d’isoler des individus physiologiquement fragiles et celle d’ignorer qu’ils peuvent mourir de détresse psychologique. Et nous comprendrons bien à quel point les directions des établissements peuvent craindre les conséquences juridiques d’une situation sanitaire “mal gérée”. Oui, car les attaques les plus terribles sont :
– Celles des salariés se sentant trop peu protégés,
– Celles des familles se sentant trop peu informées et
– Celles de la société et des médias se sentant trop peu responsables (hello « EHPAD bashing »).
Alors qu’en est-il de toutes ces personnes âgées, isolées, confinées, avec une autonomie trop limitée pour jouir de la vie et réaliser librement les actes de la vie quotidienne (se lever, se laver, manger, s’occuper et peut-être même… Se tripoter… ou plus simplement aller chercher du réconfort) ?
En effet, nos anciens se retrouvent dans une société où il semble plus gérable de mourir d’isolement, de manque de stimulation et de chagrin, plutôt que d’une affection pulmonaire gravissime.
Alors qu’est-il préférable ? Mourir de la peste ou du choléra ? D’un syndrome de glissement ou d’un syndrome de détresse respiratoire aigüe ? Il n’aura jamais été si difficile de mourir de vieillesse “pathologique” en 2020…
A mon sens, il n’y a pas de meilleure solution. La meilleure est celle qui appartient aux individus. Mais lesquels au juste ?
Le fait est que les personnes principalement concernées sont aussi celles qui n’ont plus la faculté de donner un avis libre et éclairé car elles sont trop fragilisées par la vieillesse. Et comme souvent, elles se retrouvent dépossédées de leur choix. Dans cette difficile équation, nous ne pourrons pas ignorer qu’en situation de crise sanitaire, la sécurité collective n’est pas à négliger, quand bien même l’individu crève d’envie de voir ses proches. Lourde responsabilité éthique donc d’établir des procédures de sécurité en temps de crise.
Néanmoins, même si la société, folle de son obsession pour le risque 0, a pensé qu’il est préférable pour la collectivité de mourir de chagrin, dans le silence et derrière des portes fermées, plutôt que d’une affection virale méconnue. Il est indispensable de prendre conscience des autres risques qui peuvent survenir si cette situation d’isolement perdure :
– Des résidents se grabatisant de manière exponentielle à défaut de contacts sociaux (il suffit d’avoir lu les travaux de Spitz sur l’hospitalisme pour savoir comment un individu se meurt face à l’absence de contact affectueux et de stimulation de qualité).
– Dans le même périmètre, des syndromes anxiodépressifs majorés, possiblement associés à des syndromes de glissement.
– Mais encore, d’autres vieillards développant des troubles psycho-comportementaux (agressivité, agitation, déambulation, apathie…) face à l’incompréhension de la situation.
– En parallèle, de l’anxiété, du stress, de l’angoisse, voire même de l’agressivité chez les familles se sentant impuissantes et infantilisées… un cocktail amer qui altère gravement les relations EHPAD-famille-résident. Et on commence d’ailleurs à observer des batailles à coups de médias pour désigner le pauvre coupable de cette pandémie planétaire !
– Dans un autre registre, des risques de chute grave chez les résidents, et ce à la suite de contentions physiques ou chimiques. Certes, contentions qui se doivent d’être toujours utilisées de manière exceptionnelle mais qui restent malgré tout éthiquement discutables. Ces chutes peuvent également être induites plus simplement par manque d’exercice physique (3 semaines d’alitement = 10% de masse musculaire en moins !).
– Ce même manque d’exercice physique entraîne des troubles du sommeil alimentant eux-mêmes des troubles comportementaux générant à leur tour des troubles de l’alimentation provoquant également des troubles de la marche… autrement dit le syndrome « bonjour-le-bordel ».
– De l’épuisement des personnels cherchant comment combler les carences affectives par le confinement des personnes âgées dépendantes. Ces mêmes soignants qui vivent avec la menace de faire entrer ou sortir le virus de ces institutions fragilisées.
– Des directions pas plus préservées, qui passent leurs semaines entières à pallier au manque de personnel pour maintenir le bateau à flot tout en gérant la crise à l’intérieur et à l’extérieur… et le quotidien réputé déjà difficile !
– Et face à ma propre sidération, j’en oublie très certainement tant nos vieilles mécaniques sont d’une complexité infinie !
Si cet article n’apporte pas une réponse unique à une situation complexe, il cherche à sensibiliser les individus afin qu’ils puissent prendre des décisions libres et éclairées. Mon combat sera toujours d’éclairer les différents acteurs d’un système pour leur éviter les réflexions binaires, celles qui mènent à la colère, à la peur, à l’agressivité envers autrui… autrui plus souvent allié qu’ennemi. Et pour mettre tout le monde d’accord, une seule chose semble sûre : aujourd’hui en 2020, aucun des choix qui s’imposent aux acteurs de l’EHPAD ne se fait sans perte, ni angoisse.
Alors face à des choix cornéliens et une réalité anxiogène, je souhaite de la résilience à tous les résidents, leur famille, ainsi qu’à mes collègues les soignants et les directions des EHPAD, tous ceux dont je connais les réalités respectives.
Pour faire face à l’adversité, qu’ils puissent s’entourer du meilleur soutien affectif possible pour faire les choix les plus sécurisants possibles. Qu’ils puissent orienter leur « temps libre » vers la possibilité de trouver du sens à tout ce qu’ils vivent d’incompréhensible durant cette crise historique, pour l’intégrer, le digérer et rendre tout ça plus acceptable. Si seulement il y avait des professionnels pour vous aiguiller dans ce cheminement… Oh tiens ! Des psychologues dans les institutions ?
Psychologiquement vôtre,
Ariane NG.