Psychologue en EHPAD ou l’art d’être jardinier
(5 minutes de lecture)
“Tu bosses en EHPAD* ?! Ah…”
*EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
Certains de mes interlocuteurs se sont parfois désintéressés de la conversation à la simple évocation de mon job de psy en EHPAD. Ennuyant ? Pas sexy ? Des histoires de vieux qui sentent l’incontinence ?
Malheureusement, la gériatrie est trop souvent cantonnée aux seuls soins, pipi, caca et désorientation gênante. Tout ça par économie de pensée face à des sujets ultra tabous en Occident, tel que celui de la dépendance ou de la mort. Et même si le quotidien en EHPAD est parfois lourd et semé de difficultés, il est profondément formateur et épanouissant (oui j’ai bien dit épanouissant). Mais si et seulement si, on regarde (et on nous laisse regarder) au-delà du corps grabataire et déclinant.
Oui, en EHPAD, je ne parle pas souvent de strings, de décolletés, de patients charmants, de traumatisme télégénique et “putaclic” mais je parle tous les jours de la vie, de la mort un peu, mais surtout de la vie, de son début jusqu’à sa fin !
Si forcément “l’imbécile heureux” voit le jardinier sous la pluie et dans le froid avec des bottes crottées et uniquement ça, il ne voit rien d’autre et ne verra que ça. Quelque chose de peu glorieux et de pas vraiment nécessaire.
En tant que psychologue, moi aussi je le vois, ce jardinier bêchant la terre alors qu’il aurait peut-être mieux à faire, au chaud sous le soleil avec un mojito. Puis, en m’éloignant et en élevant mon regard, je vois ce magnifique jardin arboré et largement fleuri, après des mois voire des années de travail passé les mains dans le fumier. J’admire et contemple ce paysage qui raconte à chaque saison, des histoires aussi belles que différentes.
En mon royaume Mesdames, Messieurs, je suis jardinière ! Et je prends plaisir à visiter ce jardin par temps de pluie mais aussi par temps ensoleillé.
Photo : Inverewe Gardens, Ecosse, mars 2018
Tous droits réservés
Et en tant que psychologue clinicienne qui milite pour la considération des vulnérables, j’ai tant appris en EHPAD ! Sur la vie, celle des vieux, mais aussi celle des familles qui s’aiment ou se déchirent, celle des célibataires heureux ou tout le contraire, celle des couples avec ou sans enfant, celle des veufs et des veuves, celle des enfants aimants ou qui ne le sont plus, celle des dépressifs, des psychotiques, des anxieux et des douloureux, celle des enfants devenus vieux malgré eux…
Depuis 6 ans en EHPAD, moi qui suis entre temps devenue mère, je n’ai jamais autant appris sur le grand âge mais également et contre toute attente, sur l’enfant ! Ces dernières années les enfants m’ont aidé à comprendre les vieux. Les vieillards, eux, et notamment les plus perdus d’entre eux, m’ont appris à appréhender les émotions et les comportements des tous petits, comme jamais je n’aurais pu l’imaginer.
Photo : Inverewe Gardens, Ecosse, mars 2018
Tous droits réservés
Photo : Inverewe Gardens, Ecosse, mars 2018
Tous droits réservés
Alors en prenant le risque de continuer à être un ovni en ma demeure, je ne cesse de faire des grands écarts, des allers et retours entre le passé, le présent et le futur, pour puiser dans les ressources de chacun et les aider à colmater les usures de la vie.
En effet, ça fait bien longtemps que j’ai cessé de voir le vieux comme un vieux. Et que derrière lui, je vois cachés, l’enfant et l’adulte qui l’ont construit et qui l’ont mené jusqu’à moi, dépendant et affaibli.
Alors à ma (lourde) charge de jouer cette drôle de danse avec tous mes collègues soignants, eux aussi de grands jardiniers, qui parfois s’ignorent comme tels. Cette danse qui doit réunir tout ce que le vieux a été, pour l’aider à vivre cette dernière partie de route avec plus de sérénité, comme un peu de jardinage hivernal pour préparer l’arrivée du printemps…
L’être Source : Page Facebook “Héros contemporains et psychologie”
Non, le travail du psychologue en EHPAD n’est pas de gérer du drame quotidien et du glissement de tâche, de remplacer l’animatrice au loto ou la secrétaire au téléphone. Et même si de nombreuses forces nous poussent quotidiennement à le penser, et à dévaloriser notre rôle parfois jugé non essentiel, il est un atout absolument non négligeable. Et ça, il ne faudra JAMAIS en douter.
Le psychologue en EHPAD est le garde-fou des pratiques éthiques et respectueuses de l’intégrité psychique des individus. Il est la « machine à penser » quand la politique du « faire à tout prix » prend un dessus déraisonnable. Il est l’individu qui pense la complexité là où parfois la pensée simpliste domine et peut être délétère. Il est un guide qui soutient la vie psychique de résidents en perte de repère et en perte de sens. Il est le compagnon idéal pour ces soignants qui travaillent dans des conditions pas toujours enviables et qui ont parfois besoin de recul pour regarder le paysage qu’ils ont façonné à la sueur de leur front. Il est le relais de confiance des familles qui vivent le vieillissement de leur proche avec bouleversement. Il est l’atout des directions qui ne sont pas toujours autorisées à garantir une humanité absolue. Et bien sûr, ces synergies ne prennent que si tous les acteurs en ont une pleine conscience. Lourd défi donc. A eux d’ouvrir leurs oreilles et de se rencontrer. Au psy de parler de ce qu’il sait faire en se rendant compréhensible.
Et tout ça… fait un bien fou de se le faire rappeler.
Psychologiquement vôtre.
Ariane N.