La parentalité positive pour déconstruire Alzheimer (6 min)
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Si la petite enfance et… le très grand âge vous intéressent, cet article vous est destiné.
« Mais de quoi parles-tu Ariane ? Ces deux extrêmes de la vie n’ont rien à voir ! » Et pourtant…
Je sais… très souvent, du vieux, on s’en fout. Mais ! Il est de mon devoir de rappeler sans cesse, que nous sommes tous concernés, tôt ou tard, de près ou de loin, par la problématique du très grand âge, notamment quand ce dernier se vit avec encombre. Et vous entendrez très certainement dans cette problématique un doux écho des rapports conflictuels que certains parents entretiennent avec leur enfant.
Lors de ma pratique de psychologue en EHPAD (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), j’ai rapidement remarqué qu’avec les personnes âgées démentes, il fallait que j’adapte mon discours, que je ralentisse le rythme, que j’utilise des phrases simples en évitant les négations, beaucoup trop complexes à comprendre.
Troubles de l’attention, diminution de la vitesse de traitement de l’information, troubles de la mémoire, troubles de la compréhension, troubles de l’expression, voire même troubles de l’audition… Pour ceux qui cumulent ces difficultés, avoir une conversation avec un autre être humain peut relever d’un réel défi. Alors il n’est pas rare de voir certains de nos anciens refuser tout échange lorsque la compréhension devient pénible pour chaque interlocuteur, voire même de développer ce qu’on a baptisé (possiblement à tort) des troubles psycho-comportementaux.
Il n’y a pas de secret, tout comme l’enfant, le très vieux très malade s’inscrit petit à petit dans un monde qu’il ne comprend plus, parmi des gens qui ne le comprennent plus. Et tout comme l’enfant, quand la dépendance à l’autre devient inévitable, le vieux peine à exprimer ses besoins fondamentaux. Alors, tout comme l’enfant, le vieux qui vit dans un monde où l’adulte ne le comprend pas, peut être amené à s’exprimer en criant, en s’agitant, en déambulant, en attaquant, voire même… en renonçant.
Les relations peuvent s’empirer dans des situations spécifiques. Notamment, lorsque les proches ne voient pas évoluer leurs parents vers la dépendance et la mort, et ce pour X raisons. Ceci génère de la frustration, de la colère, de l’agressivité, parfois du déni et nous entrons alors dans une boucle de l’incompréhension où les conflits familiaux (re)surgissent, souvent mis sous silence… depuis l’enfance.
Alors, je reçois en entretien. Des quinqua- ou sexagénaires. D’anciens enfants, perdus dans cette période de la vie qui les confronte à l’inattendu : la dépendance de leurs parents.
Je reçois et je sensibilise sur les spécificités de ce qu’on a nommé dans notre société « maladie d’Alzheimer ». J’informe sur les subtilités et je déconstruis… Je déconstruis des phrases type : « il/elle fait exprès de ne pas me comprendre pour m’énerver », « je lui ai répété pourtant 1000x, elle ne m’a jamais aimé de toute manière ». Je tends des mouchoirs et j’accompagne vers le long chemin du deuil d’une relation affectueuse idéale qui n’est plus ou qui n’a jamais été.
Non, il/elle ne fait pas exprès. Ses besoins se complexifient au fur et à mesure que les fleurs fanent. Oui, il va falloir s’adapter, voire même tout réinventer. Alors, on reprend calmement la communication. D’une posture conflictuelle, on encourage l’engagement vers une voie plus sereine. Pour notre parent âgé et en perte de repère, on simplifie les phrases et on ralentit le tempo, on repère les capacités et on les soutient pour remettre du sens à tout ça. On favorise le dialogue par le corps et par les émotions : ces premières choses qu’on acquiert, ces dernières qu’on perd. Si le cœur nous y pousse, on enlace à nouveau ses parents, pour réimpulser de la vie et de l’envie. Ou parfois, on apprend tout simplement à le faire, à 50 ans passé. Et dans le meilleur des cas, on se laisse surprendre de les voir eux aussi savoir le faire, alors qu’ils ne s’étaient jamais autorisés à exprimer tant de tendresse. « Ne le câline pas trop, tu vas en faire un faible », souffle la petite voix narquoise de notre enfance. Il faudra apprendre à écarter ce murmure intérieur, qui en a détruit des relations. Ce murmure qu’on porte depuis la nuit des temps et qui nous pousse à mettre en sourdines nos émotions, qui sont pourtant essentielles à notre développement et notre épanouissement, et ce même à 90 ans.
Petit à petit, on enseigne à nos propres enfants d’autres voies : « câline le, tu le rendras plus fort ».
Quant aux autres, trop blessés, trop angoissés, trop je-ne-sais-quoi qui, légitimement, leur appartient, ils ne viennent plus ou ne viennent jamais.
(Etes-vous suffisamment échauffés ? Je vous propose maintenant un grand-écart.)
Et si nos styles parentaux basés sur les violences éducatives ordinaires[1] ayant fait légion à une époque, nous conduisaient à avoir des rapports conflictuels avec nos parents, devenus vieux et dépendants ? Si ces styles parentaux nous conduisaient à ne pas savoir comment les aider, ni comment se laisser aider une fois le moment venu ?
Ceux qui connaissent ma foi en la parentalité positive[2], y verront très certainement un triste retour de bâton.
Lorsque la société a donné les noms de « terrible two » ou « fucking four » à des étapes cruciales de développement du jeune enfant et à son désir viscéral de s’individualiser dans cette société aux modes de vie infernaux, on réalise que c’est cette même société qui a donné le nom de « maladie d’Alzheimer » à l’autre extrême de la vie qui nous met aussi en difficulté. Néanmoins, lorsqu’on s’intéresse aux champs de la parentalité bienveillante et positive, exit la notion d’enfant « tyran » ! Nombreux sont les parents convertis qui témoignent que les « terrible two » et « fucking four » n’existent pas. Mais seulement si l’adulte fait place à l’enfant et à ses besoins à assouvir.
Pour pousser la réflexion plus loin, entre autres références, je vous propose de lire « Alzheimer, Le grand leurre », du Pr. Olivier Saint-Jean (ancien chef de service de gériatrie de l’HEGP). Au-delà de la polémique qu’a suscité son livre, le professeur St Jean a le mérite de réinterroger notre rapport à l’exclusion de la personne âgée dépendante dans notre société, en qualifiant la maladie d’Alzheimer de construction sociale. Par ce postulat, nous comprenons comment nous avons été amenés à étiqueter nos vieux désorientés comme malades. Et ce, en imaginant la médecine allopathique comme seule voie de guérison. Mais guérir quoi ? Guérir une maladie ou accompagner sur un chemin de vie qui nous a conduit à développer des fragilités naturelles de fin de vie ? Vous imaginez bien qu’une société qui n’explore qu’un versant d’une histoire sous le prisme d’un modèle biomédical, puisse créer une vague d’indignation à l’annonce du déremboursement en 2018 de l’Aricept (donépézil), de l’Ebixa (Mémantine), de l’Exelon (Rivastigmine) et du Reminyl (Galantamine), principaux médicaments anti-Alzheimer.
Mais s’il s’agit alors de penser la vieillesse autrement que par la pathologie, alors notre champ des possibles s’élargit !
Dès lors, il nous reste des solutions, des solutions que la recherche en biologie, en psychologie et en sociologie nous fournit continuellement : soigner nos relations entre humains, cultiver le pardon et la compassion, améliorer l’inclusion, financer la prévention, cultiver l’intergénération… bien plus énergivore que des pilules, nous pouvons le concéder.
L’expérience de terrain nous enseigne chaque jour à quel point le soin relationnel et psycho-corporel soigne nos vieux (cf. le documentaire Arte “Une jeune fille de 90 ans”). Malheureusement, aucune étude portant sur l’effet des thérapies non médicamenteuses auprès des personnes étiquetées démentes, ne nous est accessible. Etrangement, les grands financeurs (dont le nom rime à peu de chose près avec laboratoires pharmaceutiques) ne donnent pas d’argent à ce genre de recherche à grande échelle. Et… j’ai cessé de me demander pourquoi…
Psychologiquement vôtre.
Ariane N.
Pour aller plus loin :
La maladie d’Alzheimer comme construction sociale
Olivier Saint-Jean et Eric Favereau, 2018, Alzheimer, Le grand leurre. Edition : Michalon.
Martial van der Linden et Anne-ClaudeJuillerat Van der Linden, Penser autrement le vieillissement. Edition : Mardaga.
Van der Linden M, Juillerat Van der Linden AC. Penser autrement la maladie d’Alzheimer. In : Arfeux-Vaucher G et Ploton L (Eds.), Les démences au croisement des non-savoirs. Chemins de la complexité. Paris : Presses de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2012;127-39.
Whitehouse PJ, George D. Le mythe de la maladie d’Alzheimer. Ce qu’on ne vous dit pas sur ce diagnostic tant redouté (traduit par Juillerat Van der Linden AC et Van der Linden M). Marseille : Solal, 2009.
Une jeune fille de 90 ans https://www.arte.tv/fr/videos/069055-000-A/une-jeune-fille-de-90-ans/
http://www.mythe-alzheimer.org/
La parentalité positive et bienveillante
Isabelle Filliozat, 2013, J’ai tout essayé. Edition : Poche Marabout.
Catherine Gueguen, Pour une enfance heureuse : repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau. Edition : Robert Laffont.
[1] La Violence Éducative Ordinaire (plus souvent nommée « VEO »), est la violence (physique, psychologique ou verbale) utilisée envers les enfants à titre éducatif (corrections, punitions) communément admise et tolérée (« ordinaire »).
[2] La parentalité positive est une manière d’élever nos enfants dans la bienveillance, le respect, l’empathie et l’exclusion de toute forme de violence physique ou psychologique. L’idée fondamentale est de pouvoir respecter les besoins physiologiques de l’enfant pour le mener à exploiter tout son potentiel.