Il suffit d’un fil… pour parler de la mort à nos enfants (6 minutes de lecture)
(6 minutes de lecture)
Pour les parents créatifs et/ou désireux d’expérimenter des pistes à ce sujet.
Pour les enfants entre 2 et 7 ans. Et pourquoi pas pour les plus grands ?
Aujourd’hui, je souhaitais vous transmettre une clé. Celle qui ouvre une porte qu’on pensait bloquée. C’est une clé qui permet d’explorer des sujets difficiles et potentiellement douloureux.
Cette clé, j’en ai hérité lorsque j’étais moi-même enfant (merci Maman). Je l’ai utilisé toute ma vie dans des temps particuliers d’angoisse, notamment face aux angoisses de séparation, qu’on éprouve parfois très tôt dans la vie. Cette clé, j’en ai compris le fonctionnement quand je suis devenue hypnothérapeute, en même temps que je pratiquais auprès des personnes âgées vulnérables et que je devenais mère à mon tour.
Il y a quelques semaines, je parlais de l’importance de parler de la mort et à quel point le non-dit qui entoure ce sujet induit des effets plus délétères que protecteurs.
Cette fois-ci, je vous propose d’explorer notre imaginaire pour le mettre au service du « parler de la mort » à nos enfants (disons à partir de 2 ans/2 ans ½), et par la même occasion… en diminuer son côté anxiogène.
Un bout de parcours pour intégrer la mort à ma parentalité
Pour la première fois, j’aborde une expérience personnelle. Elle m’a permis de construire certains outils pour accompagner les personnes en situation de vulnérabilité. Elle viendra illustrer une manière de faire qui a le mérite d’avoir été efficace à certains moments. Prenez ce qui fait sens pour vous.
Psychologue auprès de personnes en fin de vie, il fut un temps où je recueillais à longueur de journée des angoisses de mort. Tandis que, de mon côté, je créais… la vie !
C’est vrai, ça m’angoissait un peu d’entendre Madame Roudoudou, 82 ans, me parler du décès brutal de son époux il y a 40 ans et de ses 4 fausses couches alors que j’étais moi-même enceinte de quelques semaines et que personne ne le savait. C’est vrai, ça m’angoissait.
Alors que je vivais ce paradoxe étrange face à ces deux événements qui faisaient mon quotidien, j’ai réalisé que je ne pourrai jamais cloisonner ces deux mondes dans lesquels je vivais : celui de la mort, profondément anxiogène et celui de la naissance, galvanisant et métamorphosant.
Il a donc fallu construire un pont pour rendre ces deux univers, on ne peut plus naturels, cohérents. C’est ainsi que j’ai passé les années qui ont suivi à accompagner la mort et le deuil tout en étudiant et éprouvant en long et en large la parentalité. La passerelle que j’ai construit entre ces deux mondes, a permis de produire une synergie rendant l’un moins anxiogène et l’autre plus profond.
Lorsque mon premier enfant avait 2 ou 3 ans, le sujet de la mort s’est invité chez nous. Un grand-parent disparu ? Un drame ? Un événement inattendu s’imposant à nous ? Absolument rien de tout ça. Lors d’une conversation quotidienne sur mon boulot, le sujet est venu, naturellement. C’était l’histoire d’un individu décédé de plus, laissant une famille dans le chagrin et des soignants désœuvrés à ne pas vraiment savoir comment gérer l’impuissance d’accompagner des mourants à longueur de temps.
A ma hauteur de psy, j’ai aidé des adultes, angoissés face à cette problématique, à parler de la mort pour leur permettre de travailler leur deuil en de meilleures conditions.
A ma hauteur de mère, j’ai œuvré dans la prévention en œuvrant pour que ce sujet devienne un non-sujet pour mes enfants. Et que pour plus tard, mes futurs petits patients puissent bénéficier de cette expérience.
Je n’ai donc jamais menti.
« Un jour, on meurt, notre corps petit à petit disparait. Est-ce qu’on part ailleurs ? On ne sait pas vraiment, c’est tout à fait possible. Est-ce qu’on se reverra ? Oh ça ! On aimerait beaucoup ! »
Ne croyez pas que j’ai abordé ce sujet en une fois, facilement. Ne croyez pas qu’en une soirée, le sujet était expliqué, compris et intégré. Il faut du temps à l’enfant, il faut du temps à l’adulte, pour poser le décor qui se transformera en bulle de confiance et de sécurité pour parler de choses qui font –atrocement- peur. Il est possible que je fusse maladroite, à certains moments. Mais, le temps faisant, nous avons construit un paysage autour de la mort avec plusieurs plans, où les êtres continuent d’exister, même après la mort, mais différemment.
L’imaginaire pour faire face à la séparation
Les prémisses
Lorsque mon enfant a eu environ 2 ans, j’ai instauré la possibilité de transformer les blessures et les émotions négatives en formes, objets ou couleurs. Il n’était alors pas rare de me voir attraper une perle de larmes sur la joue. La transformer en petite boule de couleur, l’installer dans le creux de ma main en la soufflant vers le ciel, pour la chasser bien loin de notre état qu’on préfère plus serein. J’étais devenue la Lady Gaga de la crèche. Je passais mes longues minutes de « maman venant chercher son enfant », à souffler tous les bobos des petits camarades de section faisant la queue pour voir l’attraction.
Puis l’âge scolaire est arrivé. L’entrée à la maternelle a constitué une épreuve pour nos êtres en besoin de proximité.
Nous avons été obligés de conscientiser la nécessité de se séparer là où nos corps ne sont pas toujours prêts pour ce moment de séparation si particulier. Alors, nous avons usé de livres, de cœurs dessinés discrètement sur le poignet, de doudou protecteur et rassurant… Ça nous a permis de faire face et ça a posé les bases d’un lien intérieur pérenne pour, ensuite, comprendre des événements de vie plus complexes.
La graine était plantée.
Utiliser l’imaginaire pour se séparer plus sereinement
Puis peu à peu, le langage s’est complexifié, le vocabulaire s’est enrichi et les représentations sont devenues plus colorées. Puis, un matin (de moyenne section), une angoisse de séparation débordante s’est invitée chez nous, mère en détresse n’ayant pas l’option de garder mon enfant avec moi, et hypnothérapeute tout juste aguerrie, j’ai pris ce que je savais de mon enfant, de ce qu’il aimait, de ce qu’il comprenait, de ce que je ressentais de lui, et ensemble, nous avons construit ceci :
Moi : « Regarde, tu le vois ce fil ? (Je mime un fil). Je l’accroche à mon cœur et je l’accroche à ton cœur, tu vois ils sont attachés ».
L’enfant : (sourit)
Moi : « Regarde comme il est beau, tu veux qu’on le colore, aller, quelles couleurs peut-on utiliser ? »
L’enfant : « De toutes les couleurs !».
Moi : « Oh mais très bien ! C’est un fil arc-en-ciel. Regarde, on peut même le rendre invisible, mais il est toujours là ! Tu le sens ? » (Je mime la présence d’un fil).
L’enfant : (fait semblant de toucher le fil)
Moi : « Hey t’as vu comme il est solide ? Si j’utilise un couteau, c’est le couteau qui se casse. Si j’utilise un marteau, c’est le marteau qui se casse. Si j’utilise mes dents, oh la la, mes dents vont se casser ! Qu’est-ce qu’on pourrait utiliser d’autres pour essayer de casser le fil ? »
L’enfant : « Des ciseaux ? »
Moi (mimant des ciseaux) : « Aller tiens, on essaye, oh non ! Tu as vu les ciseaux se sont cassés ! Ce fil a un pouvoir extraordinaire, il est incassable ! »
L’enfant : (emporté par l’histoire, sourit).
Moi (continuant à mimer) : « Et puis, regarde ce fil est élastique… tu vois comme il s’étend ? Tiens on peut le dérouler pour en avoir plus. (Je mime le geste de dérouler une pelote de fil). S’il est trop long, on peut l’enrouler. (Je mime l’enroulage et suggère à l’enfant de faire de même. Et nous finissons par un câlin tel un parent aimant et concerné peut enlacer son enfant).
Moi : « Quand je serai au travail et toi à l’école, nous déroulerons le fil, et le soir, quand nous nous retrouverons, nous enroulerons le fil, ça te dit ? Dans la journée, tu pourras y repenser ou l’oublier, c’est comme tu veux. »
L’enfant (enthousiaste) : « OUI ! »
Devant l’école, nous avons déroulé le fil avec 1000 baisers volants.
La graine germait.
L’imaginaire au service du « parler de la mort »
Un jour, LA question est venue : « Est-ce que tu vas mourir toi maman ? ». L’idée du fil était déjà bien ancrée. C’est ainsi que j’ai pu expliquer ceci :
« Aujourd’hui, je vais bien, je n’ai pas de raison de mourir. Mais un jour, je peux mourir. Nous, les humains, sommes tous amenés à mourir. Je ne serai plus là. Mais ce fil… Tu sais notre fil arc-en-ciel, invisible, élastique et incassable ? Il sera toujours attaché. Ce sera différent. Mais, nous serons toujours liés. Je serai toujours ta maman, tu seras toujours mon enfant, même quand je ne serai plus là. Et il suffira que tu tires sur ce fil pour te souvenir de moi et sentir ton petit cœur se réchauffer, ce sera mon amour qui te donnera de la force ! ».
Et nous avons décliné ce fil… à l’infini.
« Regarde, il y a un fil entre nous tous ! Papa est lié à nous, Mamie, Papi, Tonton, Tatie… Et lorsque certains d’entre nous, mourrons, on sera très triste mais on aura toujours ce lien qui nous uni et il faudra en prendre bien soin. »
La plante poussera.
Petite anecdote
Il y a quelques mois, j’ai resongé à de vieux souvenirs. Moi, enfant, imaginant avec ma mère, le point de rdv que nous nous donnions une fois arrivées au paradis pour se retrouver. C’était un petit village de nuages. Nous avions une magnifique maison en forme de cœur, il fallait tourner à droit avant d’arriver sur la place du village. Dans cet espace, j’y ai passé de longs moments lors de rêveries d’enfant !
Cette anecdote, j’y repense avec tendresse et sécurité. Si les images construites n’apaisent pas la douleur du deuil. Car, perdre un être aimé est un déchirement. Elles ont la vertu de préparer le terrain pour métamorphoser une relation d’attachement qui n’est plus, en une relation qui continuera à exister… tout autrement, au plus profond de nous.
Et c’est bien là TOUT l’enjeu du « parler de la mort » : s’offrir la possibilité d’un travail de deuil pouvant aboutir dans les meilleures conditions possibles ! C’est offrir le meilleur terreau pour laisser œuvrer la résilience psychique.
Pour résumer
L’hypnothérapeute que j’incarne s’est saisie de cette situation personnelle pour élaborer un outil pour mieux vivre les séparations quotidiennes. Au fil des années, ce qui a été installé, a permis d’évoquer le sujet de la mort quand il s’est présenté à nous.
Le fil est une métaphore du lien qui attache deux êtres et qui résiste à toutes les séparations, y compris les séparations définitives. Aidé par le temps et les manipulations mentales, le fil permet d’intérioriser l’attachement qu’on a avec un être cher.
Dans cette situation, très personnelle, j’ai utilisé l’image d’un fil au vu du matériel que j’avais ce matin-là, avant le départ pour l’école. Cette image vous parlera ou peut-être pas. Néanmoins, si elle fait sens, prenez-là, usez-là, détournez-là ! Les déclinaisons sont infinies.
Pour construire une image métaphorique pour accompagner son enfant à parler de la mort, il faut être attentif :
- A sa capacité à se représenter des mots, des objets, des émotions…
- Aux intérêts et aux goûts de votre enfant dans lesquels vous pourrez y puiser pour trouver des éléments qu’il comprend (objet, image, odeur, tout au élément)…
- Au canal sensoriel auquel il est le plus sensible : visuel, auditif, kinesthésique, olfactif ou gustatif. Ce canal constituera le vecteur qui vous permettra de passer un message.
- Ex. si votre enfant est plus visuel, vous attirerez, comme moi, son attention sur un objet à imaginer (ici, un fil).
- Ex. si votre enfant est plus auditif, vous pourrez inventer une histoire en chantant, elle pourra devenir un mantra récurrent.
- Ex. si votre enfant est plus dans le mouvement, vous pourrez lui demander de mimer un geste discret représentant l’amour ou le lien d’attachement qui vous unie, qu’il pourra reproduire en tout moment nécessaire ou de plus simplement y repenser.
- Etc.
- A l’installation progressive de ce sujet au cours du temps (si vous le pouvez). Nous pouvons parler de la mort sans y être confrontés. Et pour cela, la nature nous offre une multitude de supports : une plante qui fane, un animal de compagnie qui meurt, une tomate qui se gâte.…
Et surtout… entraînez-vous (l’imagination vient en s’exerçant) et…
OSEZ !
Osez, vous transformer en fée, en magicien, en sorcier, en conteur d’histoires, en clown, en voleur de bisous, en chasseurs de rêve aux pouvoirs réparateurs… vos enfants seront vos spectateurs les plus tolérants, les plus encourageants et les plus gratifiants.
Vigilance
N’imposez pas le « parler de la mort » sans cohérence avec l’évolution de votre enfant. La violence de la mort ne doit pas s’imposer à l’enfant sans qu’il soit en mesure de comprendre, sans que vous soyez en mesure de lui expliquer.
Ex. Après la lecture de cet article, ne convoquez pas votre enfant pour une réunion au sommet alors qu’il regardait tranquillement son épisode favori de Pat’Patrouille.
Eveillez d’abord votre conscience à ce sujet, si c’est nécessaire, allez vous-même consulter un psychologue sensibilisé au sujet de la mort et du deuil. Et ce afin de vous délester de l’angoisse intime que vous attache à ce sujet. Puis, saisissez les opportunités qui s’offrent à vous dans le quotidien, sans en faire des tonnes.
Ex. Parler de la souris morte trouvée sur le chemin lors de la balade d’1h quotidienne. « Tu vois cette souris ? Elle a terminé sa vie, elle va se transformer en poussière, nourrir la terre, puis la terre va nourrir et faire pousser des légumes, puis les humains vont cueillir les légumes et les manger. Merci petite souris et bonne route ! ». N’inventez pas de scénario rocambolesque pour justifier le départ en vacances de feu-Maurice-le-poisson-rouge. Ça n’aurait pas de sens !
Ayez conscience que très souvent, ce sont les adultes qui sont bien plus angoissés que les enfants lorsqu’il s’agit d’évoquer ces sujets.
Les enfants sont et ont toujours été… de petits philosophes dans l’âme ! Et arrivés à l’âge adulte, nous avons tendance à l’oublier.
Si un événement s’impose à vous, sentez-vous libre de vous faire accompagner sur ce sujet.
A bons lecteurs !
Psychologiquement vôtre.
Ariane Nguyen
Quelques vidéos pour alimenter vos réflexions à ce sujet :
EDIT !
A la suite de cet article, une consoeur et amie m’a parlé de cet ouvrage pour les petits et leurs parents. Bien sûr, je me suis empressée de l’acheter et il me semble qu’il illustre parfaitement mon propos et répond à des problématiques de séparation courantes en Occident.
Le Fil Invisible de Patrice Karst (illustré par Joanne Lew-Vriethoff)
Le fil invisible raconte l’histoire d’une maman qui explique à ses jumeaux qu’un lien unique et fort les unit et ce même lorsqu’ils sont séparés par les obligations de la vie ou par la mort.